Elle est devenue un symbole de la force des femmes africaines. Mbande Nzinga a dirigé pendant quarante ans les royaumes qui deviendraient un jour l'Angola, tenant tête aux Portugais. Dirigeante, diplomate, guerrière : elle est brandie comme un exemple d'indépendance. Les historiens notent pourtant que son parcours est entaché de toute la violence de son époque.
Lorsqu'elle est morte, à 80 ans, la reine Mbande Nzinga avait durablement marqué l'histoire de la région qui deviendrait, plus tard, l'Angola. Reine du Ndongo et du Matamba, de petits royaumes voisins du Kongo, lorsque les Portugais entamaient leur installation sur la côte au début du XVIIe siècle, elle a su tenir tête à ces explorateurs et commerçants venus de l'étranger.
Mbande Nzinga a bouleversé les mœurs de son propre peuple. Fille du roi du Ndongo, elle sert d'abord comme ambassadrice en 1622 pour son frère Ngola Mbandi lorsque celui-ci hérite du pouvoir. Envoyée auprès des Portugais, l'histoire raconte qu'elle refuse de se laisser intimider par le gouverneur Dom Joao Correia de Sousa : lorsque celui-ci trône face à elle, Mbande Nzinga réclame à une servante de s'agenouiller pour qu'elle puisse s'asseoir dessus et siéger à même hauteur que son interlocuteur.
Un an plus tard, elle succède à son frère, affaibli. Tant bien que mal, elle mènera une longue campagne contre les Portugais et leurs alliés, jouant d'alliances avec les Hollandais, de retraites stratégiques et d'offensives audacieuses. Femme de pouvoir, elle occupe tous les aspects de celui-ci : politique, diplomatique et militaire. Mbande Nzinga se convertira également au christianisme pour gagner la confiance des Européens et s'avérera une redoutable femme de lettres. Elle place autour d'elle plusieurs femmes dont elle est proche. Sa sœur sera l'une de ses principales espionnes. D'autres confidentes commanderont des unités militaires.
En 1657, elle imposera finalement aux Portugais un traité de paix, qui ralentira considérablement leur installation dans la région. Elle dirigera encore une quinzaine d'années, ouvrant la voie à une série de reines qui dirigeront les peuples du Ndongo et du Nzinga, créant une originale lignée de femmes dirigeantes dans cette partie de l'Afrique.
Une source d'inspiration pour les Africaines
Nzinga Mbande est devenue une icône dans l'histoire de l'Angola. Une statue de la reine trône au cœur de la capitale, Luanda. Son parcours a également convaincu l'Unesco d'en faire l'une des figures de son projet sur les "Femmes dans l'histoire de "Femmes dans l'histoire de l'Afrique". Sasha Rubel, qui en a la charge, voit dans Nzinga Mbandi la « visibilité des femmes en Afrique dans les luttes pour l'indépendance ».
Alors que l'Unesco vise à développer une approche collective de l'histoire de l'Afrique, l'organisation cherche des moyens pédagogiques et ludiques de partager ce savoir à l'échelle continentale. « Nzinga Mbande représente quelque chose de très important dans l'imaginaire angolais, mais elle joue aussi un rôle plus large dans l'imaginaire africain, explique Sasha Rubel. Des femmes au Mali, par exemple, peuvent s'inspirer de ces personnages pour avoir une vision globale et continentale de la femme dans l'histoire de l'Afrique. »
Les historiens partagés sur la mythification du personnage
« Il y a beaucoup de romantisme autour de Nzinga Mbande, tempère Tim Stapleton, spécialiste de l'histoire militaire de l'Afrique.Elle n'était pas supposée être reine du Ndongo : elle a tué son frère et son héritier. Elle se faisait passer pour un homme. Et si elle était entourée de femmes, c'est parce qu'elle les faisait passer pour ses épouses. »
La nature et les motivations réelles de Nzinga Mbande font débat au sein de la communauté scientifique. Si certains voient en elle un exemple de résistance à l'envahisseur, d'autres considèrent qu'elle a surtout fait preuve de prudence et de pragmatisme. « On aime bien raconter que Nzinga Mbande résistait aux esclavagistes, note Tim Stapleton. C'est de la mythologie : elle essayait surtout d'obtenir de négocier les esclaves à un prix le plus avantageux possible. »
L'historien ne conteste pas l'influence et la puissance de la reine du Ndongo. Il insiste pourtant pour resituer ces succès dans le contexte de l'époque : « Clairement, elle était un bon leader militaire au vu de ses résultats. Mais en général, elle a surtout tâché de faire la paix. Elle combattait les Portugais, mais elle a aussi beaucoup coopéré avec les Hollandais. À l'époque, les Portugais n'étaient pas nombreux, ils mouraient surtout de maladies et avaient des armes à feu très peu efficaces. Rien à voir avec les futures guerres coloniales. »
« Au vu du contexte aujourd'hui, estime Tim Stapleton, on est facilement tentés de voir en elle la figure d'une femme noire affrontant les colons. » A l'Unesco, on refuse d'admettre avoir cédé à l'angélisme. Sasha Rubel remarque que l'ensemble du projet pédagogique a été validé par des historiens et insiste sur l'important travail effectué sur les archives. Alors esclavagiste sanguinaire ou résistante courageuse ? La vérité est désormais en grande partie enfouie dans les limbes de l'histoire. Dorénavant, la reine Mbande sera ce que les hommes et les femmes voudront en faire... et pourquoi pas un bel exemple ?
Pour en savoir plus sur l'histoire de la reine Nzinga Mbande, l'Unesco a réalisé une bande dessinée sympathique et pédagogique : http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002301/230103e.pdf
Article : RFI