C'est sa sœur la Princesse Njinga, qu'il détestait pourtant, qui fut chargée d'aller négocier le traité à Luanda. De son vrai nom Ngola Mbandi Nzinga Bandi Kia Ngola, "La Reine Dont la Flèche Trouve Toujours Son But", c'était un habile tacticienne au tempérament de fer et au charisme incontesté. Initiée dès son plus jeune âge par son père qu'elle suivait comme une ombre, elle avait appris à réagir en "Homme d'Etat".
Portée en litière par une brigade de serviteurs véloces, Njinga accompagnée d'une escorte de courtisans et d'un détachement armé, fit le voyage en quelques jours. Luanda! Que de transformations sur ce territoire arraché au Royaume de ses Pères! avec ses allures de ville Européenne et ses églises, dont la première fut construite en 1505, elle était parsemée d'importantes demeures en bois abritant les nouvelles élites coloniales, et de hangars à esclaves tournés vers l'Atlantique.
L'annonce de l'armée de l'Ambassade Angolaise avait attiré une foule de curieux plein d'excitation au débouché de la piste conduisant au Matamba. Une salve de vingt et un coups de canon résonna enfin, saluant l'arrivée e la délégation aux portes de la capitale. Le cortège apparut, déclenchant des exclamations d'enthousiasme dans la foule Africaine contenue pas deux colonnes de miliciens portugais.
Njinga était vêtue un pagne de fin velours en raphia. Une étole de couleur vive posée en écharpe sur ses épaules lui couvrait à peine la poitrine. Sa couronne d'or massif sertie de pierres précieuses et surmontée d'une touffe de plumes multicolores formait un petit casque sur sa tête. Tout en elle traduisait la fierté des femmes de haute lignée.
Comme indifférente à la curiosité manifestée sur son passage, la Princesse observait, de sa litière, l'étrange univers qui se présentait à elle. Les cases rondes de jadis avaient fait place à des habitations colorées, entourées de larges balcons et percées de volets en bois. Des ruelles avaient été tracées, où déambulaient de nouveaux types de population plus métissée. Elle remarqua les nombreuses boutiques des commerçants portugais et l'ostentation de ces quelques noirs aisés qui avaient troqué leur tenues traditionnelles contre des tenues occidentales.
Elle sentit aussi la résignation du petit peuple, arrachés à leur plantations de vivriers et privés des métiers dont ils tiraient jadis leur subsistance. L'administration à laquelle ils étaient désormais assujettis ne leur reconnaissait qu'un seul atout, celui d'esclave ou de serviteur. D'ailleurs en longeant la rade, elle aperçut les marins portugais, espagnols italiens et hollandais, affairés à embarquer sans aucune ménagement des centaines d'esclaves alignés. En faction sur le quai, des négriers blancs contrôlaient le déroulement des opérations aidés d'intermédiaires Afro-Brésiliens, venus pour la plupart de l'île de Sao Tomé. Luanda avait pour réputation d'être un port de traite féroce. Les esclaves y étaient parqués comme des bêtes et près de la moitié d'entre eux mouraient de malnutrition et de mauvais traitement avant même leur transfert sur les bateaux.
Accueillie au palais du gouverneur par le Vice-Roi du Portugal en personne, Don Joao Correira Da Souza, Njinga fut dirigée vers le salon où devaient avoir lieu les pourparlers. Mais en entrant dans ma pièce elle eut un imperceptible mouvement de raideur; elle venait d'apercevoir, posés par terre sur un tapis, face à l'unique fauteuil de velours rouge visiblement destiné au Vice-Roi, deux coussins de brocard frangés de fils d'or; elle comprit d'emblée que ces coussins étaient destinés à son assise. Cette différence de traitement suggérant un état d'inféodation lui déplut souverainement. D'un geste sec elle ordonna à une de ses suivante d'approcher.
La servante n'eut point besoin d'explication pour comprendre le courroux de sa maîtresse. Elle se mit précipitamment à genoux sur le tapis et, prenant appuis sur ses coudes, pencha le buste en avant et lui présenta son dos. Un bourdonnement d'effarement saisit l'assemblée des officiers portugais. Njinga se posa sur ce fauteuil improvisé et y demeura pendant toute la durée de l'entretient.
Son sens de la répartie et son habileté politique dominèrent entièrement la rencontre, disent les chroniques portugaises de l'époque. Elle ne céda en rien sur ce qui semblait relever de la dignité de son peuple et parvint à obtenir le recul des troupes étrangères hors des frontières antérieurement reconnues et le respect de la souveraineté du Matamba.
Au moment de clore la négociation, le vice-Roi suggéra que le Matamba se mette sous la protection du roi du Portugal. Ce qui supposait en réalité le paiement d'un impôt de vassalité consistant à la livraison de douze à treize mille esclaves par an à l'administration coloniale! Mais c'était mal connaître son interlocutrice. "Sachez, Monsieur, objecta-t-elle, que si les portugais ont l'avantage de posséder une civilisation et des savoirs inconnus des Africains, les hommes du Matamba, eux, ont le privilège d'être dans leur patrie, au milieu des richesses, que malgré tout son pouvoir le roi du Portugal ne pourra jamais donner à ses sujets. Vous exigez tribut d'un peuple que vous avez poussé à la dernière extrémité. Or, vous le savez bien, nous paierons ce tribut la première année et l'année suivante nous vous ferons la guerre pour nous en affranchir. Contentez-vous de demander maintenant, et une fois pour toutes, ce que nous pouvons vous accorder"; Le débat était clos. Alors qu'elle prenait congé, Da Souza fit remarquer, non sans une certaine gêne, que la jeune servante utilisée comme tabouret n'avait toujours pas quitté sa pose. "L'ambassadrice d'un Grand Roi, répondit Njinga avec hauteur, n'utilise jamais deux fois la même chose. Cette fille m'a servi de siège, elle n'est plus à moi!".
Et c'est ainsi qu'en cette année 1622, Njinga fit une entrée remarquée dans l'histoire tourmentée des relations entre le Portugal et l'Angola. Car la paix ne dura pas. Succédant à son frère en 1624, cette femme d'exception résista aux armées occidentales pendant trente ans de campagnes quasi ininterrompues sans jamais capituler!
Ralliant à sa cause plusieurs états voisins, elle prit le flambeau de la résistance, réorganisant son armée en carrés disciplinés; aguerrissant ses soldats par des exercices d'endurance comme elle l'avait vu faire chez les Européens, incitant les régiments Africains bien équipés enrôlés dans l'armée d'occupation à rejoindre les troupes en échange de terres et de fortes récompenses; lançant sa police secrète sur le port de Luanda pour espionner les débarquement de troupes fraîches en provenance de Lisbonne ou du Brésil; utilisant la nature à son profit en choisissant les saisons porteuses de malaria pour harceler les forces adverses épuisées par des fièvres auxquelles elles n'étaient pas habituées.
Les Vice-Rois qui se succédaient n'en pouvaient plus d'essuyer des échecs face à ce roc indestructible. A 73 ans, Njinga continuait de conduire ses troupes entre montagne, forêt et savane afin que pas une once de son Royaume ne s'émiette. Puis vient le temps de l'apaisement. Sans doute plus clairvoyant que ces prédecesseurs, le nouveau gouverneur Salvador Correia, avait compris qu'une guerre interminable ne serait profitable à aucune des deux parties. Les portugais renoncèrent finalement à leurs prétentions sur le Matamba et un dernier traité fut ratifié le 24 Novembre 1657 par Lisbonne.
La paix revenue, Njinga se remit aux occupations quotidiennes de sa charge, releva l'agriculture et réorganisa la société en confiant de nouvelles responsabilités aux femmes du Royaume. Elle mourra le 17 Décembre 1664, à l'âge de quatre-vingt-deux ans en murmurant: "Mon seul regret est de ne pas laisser un fils qui puise me succéder sur le trône du Matamba". Etait-elle en train de revivre, alors que la mort venait à sa rencontre, ce jour maudit où son fils unique, un bébé de quelques mois qui tétait encore le sein, fut assassiné par les sbires de son frère tant haï, ce tyran qui lui vouait une jalousie féroce?